La semaine de 4 jours vue par le CJD : une histoire de temps

Par Krystel Didier – Responsable de programme RSE au CJD

La mise en place de la semaine de travail de quatre jours dans une entreprise est une initiative transformatrice qu’il ne faut pas entreprendre à la légère. Il s’agit en effet d’une démarche qui nécessite une planification minutieuse, une communication efficace et une adaptation continue. 

Ce sont les premiers enseignements que le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) souhaite partager au terme des dix premiers mois d’une expérimentation menée avec huit dirigeants d’entreprise de la région Occitanie.

Si cette expérimentation – menée par le CJD avec le soutien de la Région Occitanie – a été programmée sur 18 mois, c’est justement pour permettre aux entreprises de passer par des étapes nécessaires à la mise en œuvre. « Le temps long est important car je ne souhaite pas précipiter les choses. Je veux poser clairement toutes les problématiques en amont avec les équipes. C’est aussi le temps dont j’ai besoin pour travailler sur ma posture et ma communication. C’est indispensable pour obtenir la confiance de mes équipes » affirme Vianney Dauney, dirigeant de Genius Loci, entreprise nîmoise du bâtiment spécialisée dans la rénovation.

L’exemple du CJD France 

C’est d’ailleurs fidèle à ce principe d’expérimentation cher au CJD, que la direction du CJD France a décidé d’appliquer à elle-même ce qu’elle prône à ses adhérents. Après plusieurs semaines de discussions et de préparation avec l’équipe nationale salariée, celle-ci teste la semaine de quatre jours depuis le 1er janvier 2024. 

Une méthode commune à toute entreprise

L’expérimentation du CJD en Occitanie met en action une diversité de secteurs et de tailles d’entreprises. S’il n’est donc pas possible de transmettre une recette miracle, le dispositif a le mérite de mettre en lumière des étapes clés communes à de nombreuses entreprises. Parmi ces étapes nous retrouvons :

  • le diagnostic de départ,
  • le dialogue et la concertation,
  • la co-construction du scenario avec les parties prenantes (notamment celles qui seront les plus impactées par la nouvelle organisation : collaborateurs et clients),
  • l’élaboration d’un cadre de mise en place avec éventuellement un accord d’expérimentation.
Un suivi et une évaluation en continue 

Le suivi continu et les évaluations régulières seront des sujets transversaux à chacune des étapes détaillées ci-dessous. L’objectif sera de collecter régulièrement les retours d’expérience des employés et des managers pour comprendre l’impact sur la charge de travail, la motivation, la productivité, l’équilibre vie pro/vie perso, sans oublier la cohésion des équipes. Selon les résultats, l’évaluation permettra de procéder à des ajustements.

Étape 1 : Un diagnostic de l’organisation actuelle 

Avant de prendre toute décision, il est essentiel d’évaluer l’impact potentiel d’une semaine de quatre jours sur l’entreprise. Le diagnostic préalable doit inclure :  

  • L’analyse des besoins de l’entreprise. Les dirigeants doivent prendre en compte les exigences opérationnelles et les cycles de travail pour déterminer si une semaine de quatre jours est réalisable. Il s’agira aussi d’analyser l’impact financier de la semaine de quatre jours, y compris les économies potentielles en termes de coûts opérationnels et les implications pour les salaires. Sur le volet social, l’équipe dirigeante devra également déterminer l’impact sur le temps de travail (ex. 35h, 32h ou autre formule), la rémunération et les avantages sociaux des employés (ex. panier repas). 
  • Le lien entre la semaine de 4 jours et le projet ou la raison d’être de l’entreprise pour donner du sens.
  • Le recueil des avis et des préoccupations des employés car leur engagement est une des clés du succès de ce changement.
  • L’étude de cas sur d’autres entreprises ayant adopté cette approche pour apprendre de leurs réussites et de leurs défis.
Étape 2 : Communication et concertation

Après avoir pesé les « pour » et les « contre », si le dirigeant estime que son entreprise est suffisamment stable pour se lancer, la communication et la concertation seront des étapes essentielles pour assurer l’adhésion de tous les employés. L’annonce d’une telle transformation aux équipes, même si ce n’est qu’au stade de l’expérimentation, doit être préparée en tenant compte des freins exprimés par chacun : stress et charge de travail, gestion familiale, changements des habitudes etc. 

En s’appuyant sur des témoignages d’entreprises ayant passé le cap, le CJD a pu noter des écueils liés à une communication informelle ou un manque de communication. Mal préparée, une annonce peut avoir l’effet inverse de celui attendu sur l’enthousiasme des salariés. Et un manque de communication au fil de l’eau peut mettre à mal l’organisation du travail. Ne pas prendre le temps nécessaire de la concertation c’est donc le risque de devoir démêler plus tard les problèmes qui n’auront pas été clairement identifiés de manière collective. Par exemple, face un à pic d’activité, l’entreprise peut-elle demander exceptionnellement de revenir à une semaine de cinq jours ? Oui éventuellement, à condition d’avoir posé le cadre et les conditions de l’expérimentation. 

La concertation avec le délégué du personnel, ou à minima avec les managers/les collaborateurs, semble incontournable. « Sans l’adhésion des salariés, le projet n’est pas envisageable. Il était donc important, en tant que dirigeant, de faire un pas de côté et de laisser le projet être porté par les collaborateurs, au travers d’un COPIL, pour une plus forte implication. », témoigne Emilie Geyer, dirigeante de l’entreprise Kadys, entreprise spécialisée dans la transformation numérique et la gestion documentaire numérique. 

Étape 3 : Scénario organisationnel et indicateurs

Avant de lancer le projet à grande échelle, et si le fonctionnement de l’entreprise le permet, le dirigeant peut décider d’expérimenter sur une partie de ses effectifs seulement en choisissant un département ou une équipe. 

Quelle que soit la stratégie, il s’agira de définir un scénario qui répondra aux questions suivantes : Comment ? Quel jour off pour qui ? Comment maintenir le service clients et la cohésion d’équipe ? L’étape complémentaire sera de fixer des indicateurs clairs (productivité, satisfaction des employés, équilibre vie pro / vie perso…) et d’évaluer l’impact du changement au travers de sondages. Certaines entreprises de notre expérimentation ont décidé d’attribuer cette mission à un comité de pilotage constitué de collaborateurs volontaires. Les retours en sont très positifs. « Le rôle de notre comité de pilotage a d’abord été de recueillir des informations en amont pour connaitre les freins, les questionnements et les attentes des collaborateurs. Le copil sert aussi à proposer des scenarios et assurer l’évaluation régulière », explique Amélie Raffenaud, gérante de l’entreprise Numix, un studio de création numérique, spécialisé dans la réalisation sur mesure de digital learning et d’applications 3D innovantes.   

Etape 4 : Signature d’un document de cadre expérimental 

Mettre en place un document officiel cadrant le projet de l’entreprise est aussi un point indispensable. Non seulement il fixera une durée d’expérimentation et les possibles exceptions, mais il devra tenir compte d’une mise à jour des politiques de ressources humaines pour refléter les changements, notamment les aspects liés aux congés, à la santé et à la sécurité. La direction, en s’appuyant sur le CSE (s’il existe), devra informer régulièrement tous les employés sur les progrès, défis et modifications du plan d’expérimentation. 

Pour conclure, la mise en place d’une semaine de travail de quatre jours implique du temps, de l’engagement du dirigeant et des employés et une capacité à réajuster les stratégies en fonction des résultats obtenus. Avec une mise en œuvre réfléchie et stratégique, la semaine de quatre jours peut devenir un avantage concurrentiel significatif pour les entreprises prêtes à embrasser cette nouvelle manière de travailler. Enfin, les feedback recueillis nous montrent que les étapes suscitées ne constituent qu’une partie de la méthode puisque nous évoquons surtout la préparation du terrain avant la mise en œuvre opérationnelle. Dans la part immergée de l’iceberg, il existe encore une multitude de questionnements, propres à chaque organisation et aux personnalités constituantes des entreprises. Le CJD aura à cœur de travailler sur ces variables d’ajustement et continuera à vous partager les bonnes pratiques.