DĂ©mocratie : confiance et peurs dans 55 pays

Trois semaines avant l’offensive du 24 fĂ©vrier, l’idĂ©e d’une invasion russe de l’Ukraine dĂšs cette annĂ©e apparaissait encore invraisemblable Ă  un tiers des Allemands, Italiens, Français, SuĂ©dois. N’y croyaient pas 41 % des Italiens et, plus Ă©tonnant, 42 % des Finlandais, pourtant frontaliers. L’ECFR, laboratoire d’idĂ©es basĂ© Ă  Berlin, qui avait recueilli ces opinions, constatait cependant que l’invasion russe Ă©tait jugĂ©e « probable Â» ou « trĂšs probable Â» par les trois quarts des Polonais, les deux tiers des Roumains, plus de la moitiĂ© des Allemands, des Italiens et des Français.

En Europe, l’inquiĂ©tude a Ă©videmment bondi le 24 fĂ©vrier dernier, d’autant que dĂšs ce premier jour de guerre, l’armĂ©e russe s’emparait de la centrale de Tchernobyl. Le 27, Poutine faisait encore monter la tension en annonçant qu’il activait sa force de frappe. Le lendemain, prĂšs de 30.000 Belges se prĂ©cipitaient dans les pharmacies pour obtenir des comprimĂ©s d’iode, gratuits, Ă  avaler en cas de nuage radioactif. Le 29, interrogĂ©s par CSA pour CNEWS, les trois-quarts des Français se dĂ©claraient prĂ©occupĂ©s. 30 % Ă©taient « trĂšs inquiets Â», 46 % « assez inquiets Â». 20 % se prĂ©tendaient « pas vraiment inquiets Â» et seulement 4 % n’avaient « aucune inquiĂ©tude Â». Un autre sondage, effectuĂ© les 2 et 3 mars par Odoxa pour le Figaro, confirmait ces rĂ©sultats et l’évolution de l’opinion française. La proportion des Français considĂ©rant la Russie comme un « adversaire Ă  combattre Â» avait doublĂ© en une semaine !

En Italie, fin fĂ©vrier, les demandes d’achat de bunkers et d’abris antiatomiques connaissaient un boom. Selon un sondage Ipsos-Legacoop, effectuĂ© entre le 28 fĂ©vrier et le 1er mars, pratiquement tous les Italiens Ă©taient inquiets. 39 % avouaient avoir peur, 31 % de la rage. Huit Italiens sur dix craignaient une nouvelle guerre froide, l’endommagement de centrales nuclĂ©aires ukrainiennes, l’usage d’armes chimiques ou atomiques. 55 % redoutaient des tirs de missiles russes en reprĂ©sailles contre l’Italie. La presse locale prĂ©disait qu’une attaque nuclĂ©aire contre la base amĂ©ricaine d’Aviano en VĂ©nĂ©tie tuerait 234 000 personnes. Une simulation, faite il y a deux ans Ă  Princeton, Ă©valuait Ă  90 millions les victimes, en quelques heures d’un conflit nuclĂ©aire entre Russie et Otan.

La crainte de la Russie régressait

Les Ă©vĂšnements en cours ont bouleversĂ© l’évolution des craintes dans le monde, car, Ă  l’inverse de la Chine, la Russie Ă©tait, dans l’ensemble, moins crainte en 2021 qu’il y a quatre ans, sauf notamment en France. C’est ce que montre une enquĂȘte menĂ©e Ă  la fin de l’annĂ©e derniĂšre dans 55 pays par l’institut IPSOS. Cette Ă©tude permet de mettre en perspective les opinions actuellement sous le choc quotidien des nouvelles. CommandĂ©e par Fondapol, que dirige Dominique ReyniĂ©, et par six autres organisations amĂ©ricaines, allemande, argentine, brĂ©silienne, japonaise, l’étude s’appuie sur les rĂ©ponses de 47 408 personnes [1]. Elle rĂ©vĂšle qu’il y a un an, « une nouvelle guerre mondiale dans les prochaines annĂ©es Â» Ă©tait jugĂ©e « probable Â» par 38 % des EuropĂ©ens, dont 44 % des Français. Un conflit mondial Ă©tait encore plus craint par les Ukrainiens (55 %), les Australiens (57 %), les Libanais (58 %), les AmĂ©ricains (59 %), les Mexicains (60 %), les IndonĂ©siens (66 %). Les rĂ©gimes totalitaires chinois, turcs et russes suscitaient dĂ©jĂ  en 2018 beaucoup de craintes. Davantage chez les plus de soixante ans et dans les catĂ©gories sociales dites « supĂ©rieures Â».

L’an dernier, dans les 55 pays, au tableau noir de la peur, la Chine devançait de huit points la Russie (52 %) et de vingt-trois points la Turquie (37 %). Mais dans l’Union europĂ©enne, on craignait la Turquie (63 %) un peu plus que la Russie (61 %) et la Chine (60 %). C’était particuliĂšrement le cas de pays de l’ouest et du sud de l’Europe, comportant, pour certains, de fortes communautĂ©s turques. L’attitude de la Chine Ă©tait perçue comme « inquiĂ©tante Â» par 60 % des personnes interrogĂ©es dans les 55 pays, 11 points de plus que lors de l’enquĂȘte de 2018 dans 42 pays. PĂ©kin Ă©tait craint l’an dernier par les trois quarts des AmĂ©ricains (59 % en 2018), des Canadiens (50 % en 2018), des NĂ©erlandais, des Britanniques, par plus des deux tiers des Italiens, Belges, Suisses, Français, Danois, mais seulement par 43 % des Indiens pourtant voisins.

En 2021, la peur de la Russie avait baissĂ© dans beaucoup de pays, notamment scandinaves et baltes, et mĂȘme en Ukraine ; certains pays de l’Est semblaient Ă©tonnamment sereins comme la Bulgarie et surtout la Serbie, cas particulier, car largement pro-russe, comme viennent de le montrer des manifestations de l’extrĂȘme droite. Les États-Unis (70 %), les Canadiens (73 %), les Japonais (77 %) et, dans l’ensemble, les pays de l’Europe dĂ©mocratique (61 %) Ă©taient les plus prĂ©occupĂ©s. Les Britanniques (78 %) et les NĂ©erlandais (81 %), cibles d’ingĂ©rences Ă©lectorales russes par cyberattaques, note Fondapol, Ă©taient plus inquiets encore que les Ukrainiens (69 %) et presque autant que les Georgiens (82 %), directement concernĂ©s.

Le dĂ©part de Trump relance l’image de l’OTAN

L’image des États-Unis s’était nettement amĂ©liorĂ©e avec la fin de la prĂ©sidence Trump (janvier 2017 — janvier 2020), y compris en interne : les AmĂ©ricains prĂ©occupĂ©s par l’attitude de leur pays sur le plan mondial passaient de 43 % en 2018 Ă  30 % en 2021. La baisse Ă©tait encore plus forte au Japon, passant de 69 Ă  33 %, dans l’Union europĂ©enne (UE), chutant de 63 Ă  31 %. La part de Français prĂ©occupĂ©s par les États-Unis est retombĂ©e de 71 % en 2018 Ă  26 % en 2021. L’évolution Ă©tait aussi brutale en Allemagne, aux Pays-Bas, en SuĂšde.

Cela a rejailli positivement sur l’image de l’OTAN. Dans ce contexte, logiquement, 53 % des EuropĂ©ens de l’Ouest et 63 % de ceux de l’Est dĂ©claraient que « l’appartenance Ă  l’OTAN Â» Ă©tait « une bonne chose pour leur pays Â». Mais l’Alliance atlantique suscitait toujours un tiers de rĂ©fractaires en Europe. En France, les anti-Otan Ă©taient Ă  peine moins nombreux (39 %) que les Atlantistes (47 %).

Pour l’UE et une armĂ©e europĂ©enne

L’Union europĂ©enne bĂ©nĂ©ficiait l’an dernier d’une image « rassurante Â» auprĂšs de la moitiĂ© de l’opinion (44 %) des 55 pays Ă©tudiĂ©s, contre 20 % des rĂ©pondants la trouvant inquiĂ©tante. « Dans un monde dĂ©mocratique fragilisĂ©, l’attachement Ă  l’Union europĂ©enne se renforce Â», notait Fondapol : pour une majoritĂ© d’EuropĂ©ens (52 %), l’appartenance de leur pays Ă  l’UE Ă©tait « une bonne chose Â». 3 points de plus par rapport Ă  2018 (49 %) et 7 points de plus qu’en 2017 (45 %). Seule une petite minoritĂ© (18 %) regrettait l’appartenance de son pays Ă  l’UE. La France se situait un peu en dessous de la moyenne avec 43 % de pro-UE et 22 % d’anti-UE. À noter que 64 % des EuropĂ©ens dĂ©siraient conserver la monnaie europĂ©enne, 12 points de plus que ceux satisfaits de faire partie de l’UE.

Ces rĂ©sultats sont Ă  comparer Ă  ceux obtenus par l’Institut Elabe avec une formulation diffĂ©rente de la question (« plus d’avantages ou plus d’inconvĂ©nients Â»). Ils indiquent un niveau des pro-EuropĂ©ens stable depuis 2020 Ă  27 %, mais qui n’a pas rattrapĂ© la chute de 2018 Ă  24 %, aprĂšs une montĂ©e en 2017 Ă  31 %.

Sans doute une partie des EuropĂ©ens peu enthousiasmĂ©s par l’UE n’étaient pas anti-communautaires et, au contraire, trouvaient que l’Union n’allait pas assez loin. Ainsi la tiĂ©deur des Français vis-Ă -vis de l’UE n’empĂȘchait pas 57 % d’entre eux de souhaiter la crĂ©ation d’une armĂ©e europĂ©enne renforçant les armĂ©es nationales. Deux points de plus que la moyenne de l’UE, mais une dizaine de points de moins qu’en Ukraine, Pologne, Roumanie, pays fortement soucieux Ă  cause de leur proximitĂ© avec la Russie (Figure 2). PrĂšs des trois quarts des Chypriotes et des Grecs, craignant la Turquie, souhaitaient une armĂ©e europĂ©enne, comme gĂ©nĂ©ralement toutes « les rĂ©gions traversĂ©es par des tensions gĂ©opolitiques, Â» note Fondapol. En revanche, la majoritĂ© des Allemands (53 %) y Ă©tait opposĂ©e comme beaucoup de pays du nord, tentĂ©s par la neutralitĂ©, mais aussi comme la petite Moldavie et la Serbie, pro-Russe.

Confiance renforcĂ©e en l’Europe

DĂ©but mars, le sondage IFOP pour Yalta European Strategy (YES) et la Fondation Jean-JaurĂšs montrait que les Français Ă©taient devenus encore plus favorables (68 %, 11 de plus qu’en 2021) Ă  une armĂ©e europĂ©enne. Celle-ci Ă©tait souhaitĂ©e par 57 % des Italiens consultĂ©s entre les 2 et 4 mars, 11 points de plus qu’en 2019. La guerre en Ukraine avait induit un spectaculaire revirement des Allemands, ralliĂ©s dĂ©sormais pour deux tiers. Les partisans polonais d’une armĂ©e europĂ©enne Ă©taient passĂ©s de 68 Ă  87 %. C’était cohĂ©rent avec l’opinion des Italiens (Ipsos-Legacoop, 28 fĂ©viers, 1er mars) estimant pour deux tiers que l’UE avait bien gĂ©rĂ© la crise, un peu mieux que l’ONU et l’OTAN. Et qu’Ursula Von der Leyen (73 %) et Emmanuel Macron (70 %) avaient fait « un bon travail Â», le Premier ministre italien Ă©galement (67 %) tandis que Joe Biden avait déçu 51 % des Italiens.

La prise de conscience d’une solidaritĂ© europĂ©enne, qui Ă©merge actuellement sous la pression de l’agression poutinienne, Ă©tait prĂ©parĂ©e par les Ă©volutions, globalement positives, confirmĂ©es par l’enquĂȘte de Fondapol, de l’opinion des citoyens europĂ©ens envers l’UE et une armĂ©e commune.

Ces derniĂšres annĂ©es en Europe, il y avait aussi un dĂ©sir de rĂ©sistance aux interfĂ©rences Ă©trangĂšres, y compris numĂ©riques. Huit EuropĂ©ens sur dix, choquĂ©s par les ingĂ©rences Ă©trangĂšres Ă©lectorales, estimaient en 2021, selon Fondapol, que les gĂ©ants du numĂ©rique dĂ©tenaient trop de pouvoir en matiĂšre d’information et de dĂ©bat public. D’oĂč, partout dans l’UE, le souhait qu’ils soient contrĂŽlĂ©s davantage par les gouvernements. Au niveau des 55 pays interrogĂ©s, on constatait que presque 9 personnes sur 10 dĂ©nonçaient les perturbations des campagnes Ă©lectorales par des puissances Ă©trangĂšres utilisant les rĂ©seaux sociaux. Ceux-ci Ă©taient massivement perçus Ă  la fois comme « une mauvaise chose Â», car ils diffusent des donnĂ©es personnelles et de fausses informations Â» et comme « une bonne chose, car “ils permettent Ă  chacun de s’exprimer plus librement” et “de s’informer soi-mĂȘme”.

À l’est, des gouvernements contre la dĂ©mocratie

L’Union europĂ©enne, avant l’impulsion Ă  laquelle nous assistons, avait dĂ©jĂ  renforcĂ© son image aux yeux des EuropĂ©ens. La confiance dans la Commission europĂ©enne (47 %) et le Parlement europĂ©en (47 %) dĂ©passait lĂ©gĂšrement celle accordĂ©e aux gouvernements (41 %) et parlements nationaux (44 %). Les Français et les Italiens Ă©taient minoritairement confiants Ă  la fois en leurs gouvernements (39 et 41 %) et la Commission de Bruxelles (40 et 45 %). Dans certains pays de l’Est europĂ©en, la Slovaquie, la Roumanie, la SlovĂ©nie, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, mais aussi en Lettonie, Espagne, Portugal, la confiance dans le gouvernement national, de 20 Ă  30 % seulement, Ă©tait l’an dernier deux fois infĂ©rieure Ă  celle accordĂ©e Ă  l’UE.

Dans l’Est europĂ©en, l’Union europĂ©enne Ă©tait “perçue par une partie de l’opinion comme un moyen de protĂ©ger la dĂ©mocratie face Ă  la dĂ©rive autoritaire du gouvernement national”. Ceci est cohĂ©rent avec le fait que l’an dernier, 44 % des citoyens de l’Europe de l’Est, 53 Ă  57 % en Hongrie, Pologne, SlovĂ©nie, plaçaient en premiĂšre ou deuxiĂšme position leur gouvernement actuel comme “ce qui menace le plus la dĂ©mocratie dans votre pays”, Ă  la diffĂ©rence des EuropĂ©ens de l’ouest qui n’étaient que 18 % Ă  adopter cette attitude. Plus de la moitiĂ© des Hongrois, Polonais, Slovaques dĂ©nonçaient ainsi les dĂ©rives de leur gouvernement. Une rĂ©alitĂ© Ă  ne pas oublier dans les circonstances actuelles oĂč on a l’impression d’un front relativement uni de dĂ©mocraties europĂ©ennes face Ă  l’agression totalitaire en Ukraine. La peur d’une invasion russe, et non l’attachement Ă  la dĂ©mocratie, a obligĂ© les dirigeants polonais, hier en conflit avec Bruxelles, et hongrois, “illibĂ©raux” donc antidĂ©mocratiques, Ă  dĂ©fendre l’Ukraine dĂ©mocratique.

Cette ambiguĂŻtĂ© peut demain susciter de sĂ©rieux problĂšmes. D’autant que la moitiĂ© des citoyens interrogĂ©s dans les 55 pays, mais aussi dans l’UE et en France, dĂ©clarait que la dĂ©mocratie fonctionnait mal dans leur pays. Une moitiĂ© aussi des rĂ©ponses dĂ©signe la corruption comme principale menace pour la dĂ©mocratie. 16 % des rĂ©pondants pensaient que tous leurs gouvernants Ă©taient corrompus et la moitiĂ© estimaient que c’était le cas de “la plupart” d’entre eux. Cette mĂ©fiance facilite Ă©videmment les dĂ©rives populistes[2], d’autant que, mĂȘme dans l’UE, un tiers des citoyens, 41 % des Français, 54 % des Belges estimaient que “voter ne sert pas Ă  grand-chose”, les politiciens ne tenant “pas compte de la volontĂ© du peuple. D’oĂč un cercle vicieux, l’abstention Ă©tant exploitĂ©e par les politiciens populistes pour dĂ©lĂ©gitimer les dirigeants dĂ©mocratiquement Ă©lus.

Les dĂ©mocrates seraient minoritaires ?

La mobilisation actuelle contre l’agression russe et l’isolement de Poutine ne signifient pas que la dĂ©mocratie va nĂ©cessairement sortir renforcĂ©e de l’épreuve. L’étude de Fondapol confirme l’existence de deux Europe des valeurs et la fragilitĂ© du concept dĂ©mocratique, minoritaire mĂȘme en France[3], comme l’ont montrĂ© les Ă©tudes sur les valeurs des EuropĂ©ens. Selon l’European Values Study (EVS)[4], en 2017, 38 % seulement de l’ensemble des EuropĂ©ens, 41 % des Français, considĂ©raient la dĂ©mocratie comme ‘le seul systĂšme politique acceptable’. 54 % soutenaient aussi un systĂšme d’experts prenant les dĂ©cisions, 28 % avaient de la sympathie pour un systĂšme autoritaire et 12 % pour l’armĂ©e au pouvoir. Les ‘dĂ©mocrates exclusifs’ Ă©taient deux fois moins nombreux (23 %) dans la partie ex-soviĂ©tique de l’UE qu’à l’ouest.

Trois ans plus tard, ces tendances Ă©taient confirmĂ©es. Fondapol et ses associĂ©s ont proposĂ© aux 47 000 enquĂȘtĂ©s six modĂšles diffĂ©rents de rĂ©gimes. La dĂ©mocratie reprĂ©sentative, dĂ©crite comme « avoir un systĂšme politique dĂ©mocratique avec un Parlement Ă©lu qui contrĂŽle le gouvernement », rĂ©unissait le plus large soutien (81 %). Mais ce rĂ©sultat Ă©tait trompeur. Fondapol n’aurait pas dĂ» titrer sur ‘l’approbation massive de la dĂ©mocratie reprĂ©sentative’, car 70 % des citoyens questionnĂ©s acceptaient aussi une pseudo dĂ©mocratie directe oĂč ‘les citoyens et non un gouvernement dĂ©cident ce qui leur semble le meilleur pour le pays Â». Une technocratie ‘d’experts’ serait acceptĂ©e par 62 % des citoyens, comme l’indiquait dĂ©jĂ  une enquĂȘte en 2018. N’accorder le droit de vote qu’Ă  ceux qui auraient « un niveau de connaissances suffisant » ralliait 43% des interrogĂ©s dans les 55 pays. 36% accepteraient un État dirigĂ© par «un homme fort qui n’a pas Ă  se prĂ©occuper du parlement ni des Ă©lections » et 25% Ă©taient prĂȘts Ă  confier les rĂȘnes du pouvoir Ă  l’armĂ©e. Un systĂšme reposant sur « un homme fort » et donc autoritaire rĂ©unissait une majoritĂ© dans 14 pays, ralliant 72% des Indiens, mais aussi une majoritĂ© en Bosnie-HerzĂ©govine, Bulgarie, au Kosovo, en Lituanie, Moldavie, Roumanie, Slovaquie, SlovĂ©nie et mĂȘme en Ukraine. La notion de dĂ©mocratie restait donc mal comprise ou refusĂ©e par une partie trĂšs importante sinon majoritaire des populations.

Confiance et violence banalisée

On sait que la mĂ©fiance envers les dirigeants est liĂ©e Ă  la mĂ©fiance interpersonnelle, particuliĂšrement forte chez les sympathisants de l’extrĂȘme droite. Or, Fondapol observe que pour les deux tiers (64 %) des rĂ©pondants, « on n’est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres ». Cette mĂ©fiance envers l’Autre est plus forte chez les femmes (68 %), les moins de 35 ans (67 %) et surtout au sein des couches populaires (71 % parmi les personnels de services, employĂ©s de commerce et ouvriers peu qualifiĂ©s).

En Europe, on retrouve plusieurs clivages : la confiance est majoritaire au Nord (sauf en SuĂšde), minoritaire dans le reste de l’UE, mĂ©diocre dans les anciens pays de l’Est ainsi qu’en France et en Italie qui se distinguent avec 22% seulement de confiants,  78% rĂ©pondant que « l’on n’est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres ». La mĂ©fiance est une constante en France depuis des dĂ©cennies.

Cette mĂ©fiance interpersonnelle est Ă  relier Ă  la conviction que « les citoyens n’arriveront plus Ă  rĂ©soudre leurs dĂ©saccords de maniĂšre pacifique et auront plus souvent recourt Ă  la violence ». Une opinion partagĂ©e par 56% des AmĂ©ricains, 54% des EuropĂ©ens, seulement un tiers des Nordiques, mais 71% des Français, plus pessimistes sur ce point que les pessimistes pays de l’Est!

Dans ce contexte, la moitiĂ© des personnes interrogĂ©es (47 %), surtout les jeunes et les hommes, Ă©taient favorables au droit d’«avoir une arme Ă  feu chez soi pour se dĂ©fendre». Ce souhait partagĂ© par 84 % des AmĂ©ricains, les deux tiers des Serbes et des TchĂšques, descendait Ă  un tiers dans l’UE, un quart des Allemands et des Français. Japonais et NĂ©erlandais se distinguaient par leur rejet des armes Ă  domicile (15 et 14% de favorables).

Comment la lĂ©gitimation de la violence entre nationaux dans la vie citoyenne sera-t-elle influencĂ©e par le dĂ©chaĂźnement actuel de violence entre pays? Le courant protestataire des dĂ©mocrates biĂ©lorusses luttant depuis des annĂ©es contre l’autocrate Alexandre Loukachenko sera-t-il laminĂ© par l’intervention russe au travers de leur pays? Les gouvernements illibĂ©raux polonais et hongrois pourront-ils prolonger leurs conflits avec Bruxelles ou devront-ils composer avec leurs nationaux dĂ©fenseurs de la dĂ©mocratie? La Turquie d’Erdovan maintiendra-t-elle l’attitude qui inquiĂ©tait tellement ses voisins de l’Europe du Sud? Les prochains mois nous le diront. Le mouvement en faveur d’une armĂ©e europĂ©enne, qui ralliait 55% des EuropĂ©ens il y a un an et bien plus ces jours-ci,  dĂ©bouchera-t-il sur des actes ? La prise de conscience d’une communautĂ© europĂ©enne aboutira-t-elle Ă  une construction politique ou sera-t-elle minĂ©e par les replis populistes?


[1] La Fondation pour l’innovation politique (France), l’International Republican Institute (États-Unis), Community of Democracies (organisation intergouvernementale), la Konrad-Adenauer-Stiftung (Allemagne), la Genron NPO (Japon), la FundaciĂłn Nuevas Generaciones (Argentine) et RepĂșblica do AmanhĂŁ (BrĂ©sil)

[2] Gilles Ivaldi. La montĂ©e du populisme autoritaire. Ce qu’en disent les enquĂȘtes Valeurs. Futuribles n° 443. Juillet-aoĂ»t 2021.

[3] Pierre BrĂ©chon. Les valeurs des Français en tendances : plus de libertĂ© pour soi, plus d’exigences dans la sphĂšre collective. Futuribles n° 431. juillet-aoĂ»t 2019

[4] Raul Magni Berton. Les valeurs politiques des Européens. Valeurs de droite versus valeurs de gauche. Futuribles n° 443. Juillet-août 2021.

CrĂ©dit Photo : Efrem Efre – Pexels

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