Biaise-moi (25) : comment utiliser l’effet de cadrage?

C’est sans doute l’un des plus redoutables stratagèmes pour prendre le dessus sur un interlocuteur lors d’un débat. L’effet (ou biais) de cadrage montre à quel point la formulation d’un problème influe sur sa résolution.

Lors de la réforme des retraites, un sénateur commence son discours par la phrase suivante : « Ce que nous voulons tous et ce que les Français veulent tous, c’est sauvegarder notre système de retraite par répartition ». S’ensuit une attaque en règle contre l’irresponsabilité de ceux qui dénoncent la réforme des retraites. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sénateur en question s’est montré très convaincant. Ses arguments étaient logiques, implacables. Cette intervention fut largement relayée sur les réseaux sociaux.

Si ce sénateur s’est montré convaincant, c’est parce que celui-ci a su manier magistralement l’effet de cadrage. Employé en rhétorique, ce procédé vise à traiter d’un sujet sous un angle précis – angle qui fait généralement consensus – et, par conséquent, en ignorant tous les autres.

Toute l’argumentation vise alors à conforter cette orientation. Comme le résume Clément Viktorovitch dans son remarquable manuel, « les arguments de cadrage consistent à fonder la validité d’une proposition sur la structure du réel ou, du moins, sur la présentation que nous en donnons. Nous allons mettre en avant les aspects de la réalité qui nous arrangent, afin que notre thèse semble tout simplement soutenue par les faits. Et, bien sûr, nous cherchons à rejeter dans l’ombre tous les autres points de vue, qui pourraient conduire à préférer une thèse différente. »[1]

Quand le sénateur affirme que les Français veulent tous sauver le système par répartition, cela apparaît d’emblée assez juste. Si vous acquiescez à cette proposition, si vous mordez à l’hameçon, vous avez perdu la lutte. Le raisonnement qui suivra vous écrasera par son évidence.

Débat biaisé

Mais en prenant quelques secondes de réflexion, l’assertion tout d’un coup devient plus discutable. Car les Français veulent-ils tous en premier lieu sauver le système par répartition ? Est-ce vraiment leur objectif ? C’est peu probable. Ce que veulent les Français, c’est toucher une retraite décente à un âge qui leur permet de profiter encore un peu de la vie. Si le moyen pour y parvenir, c’est de renoncer au système par répartition, alors pourquoi pas ? Le système par répartition n’est qu’un type de solutions censé répondre, à une époque donnée, à un problème donné. Il y a d’autres solutions, d’autres systèmes, d’autres combinaisons imaginables. Le maintien du système par répartition est-il une fin en soi ? Sauver notre système, est-ce forcément l’équilibrer ? Demande-t-on d’ailleurs au budget des Armées d’être à l’équilibre ?

Cet article n’a pas pour objectif de dénoncer la réforme des retraites, mais simplement de montrer comment le débat sur ce dossier peut être biaisé du départ. La formulation initiale du problème (le cadrage) conditionne la nature des solutions qui pourront lui être apportées. Elle nous enferme et nous interdit l’accès à un champ de possibles beaucoup plus vaste. L’effet de cadrage nous conduit à voir un sujet par le petit bout de la lorgnette. Et cette lorgnette n’est pas la nôtre, mais celle qui a été choisie par notre contradicteur.

Pour ne pas tomber dans le piège, il importe de se montrer particulièrement vigilant. Il faut immédiatement dénoncer la manœuvre et exprimer clairement son désaccord sur la manière dont on choisit de traiter du sujet.


[1] Viktorovitch, Clément, Le Pouvoir rhétorique, Seuil, 2022.

Crédit Photo : Creative Morghan – Pexels

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