Biaise-moi (15) : pourquoi les projets échouent ?

Comment un projet, a priori sur de bons rails, finit-il par dérailler ? Vraisemblablement par excès de confiance et manque d’informations, nous dit Daniel Kahneman.

Lors de tout lancement de projet en entreprise ou dans toute autre organisation, les participants doivent commencer en bonne logique par établir le planning et calculer les ressources nécessaires (moyens humains et financiers) pour arriver au résultat souhaité. Les participants travaillent à une représentation commune sur la gestion du projet et s’entendent autour d’éléments chiffrés, de livrables, de dates…

On connaît la suite. Cette représentation partagée, une fois confrontée à la réalité, s’avère souvent trop optimiste. Des éléments non prévus viennent immanquablement perturber le plan. L’agenda doit être revu ; les délais se rallongent. Parallèlement, la ligne budgétaire flambe. La représentation partagée aboutit à une cécité collective, car personne n’avait anticipé ce dérapage.

Dérives

Cela a été le cas du musée des Confluences à Lyon. Début 2000, le projet est estimé à 60 millions d’euros. Puis, chaque année, de rebondissement en rebondissement, le coût est revu à la hausse. On sait aujourd’hui que le coût du bâtiment s’élève finalement à 302 millions d’euros, soit une augmentation de 411 % par rapport à l’estimation initiale. Autre exemple : le projet du nouveau Parlement écossais. Il est estimé en 1997 à 40 millions de livres. En 2004, date de la fin des travaux, le coût se monte en définitive à 431 millions de livres. Une inflation de 1077% !

Ce qui est surprenant, c’est que ces phénomènes sont rétrospectivement rarement considérés comme des surprises. En entreprise, face aux projets qui s’éternisent ou échouent, les acteurs reconnaissent que la conduite du projet — sa « complexité » — a été mal appréhendée dans sa phase initiale. Les retards et coûts supplémentaires – et même les échecs — étaient prévisibles selon les protagonistes. C’est bien sûr une illusion. Car comment ce qui semble évident avec le recul aujourd’hui était loin de l’être des mois, voire des années plus tôt ? La réponse à cette question peut être trouvée du côté du biais rétrospectif, qui nous fait voir a posteriori de façon nettement plus claire une situation initialement critique ou confuse. Cette erreur de jugement nous fait surestimer rétrospectivement le fait que les événements auraient pu être anticipés, moyennant plus de prévoyance ou de lucidité.

Dans ces erreurs de prévision, nous sommes victimes de « l’attrait de la vision interne », pour reprendre l’expression de Daniel Kahneman.

C’est cette vision interne qui fait que nos prévisions initiales relèvent plus du scénario optimiste que de l’évaluation réaliste. Nous peinons à adopter un point de vue global qui viendrait relativiser nos prévisions avec d’autres éléments similaires. Le recours aux statistiques ici encore peut s’avérer utile. « En tenant compte de ce qui se fait ailleurs, quelles sont les chances de réussite de notre projet ? » Il importe également d’identifier les spécificités de la situation présente. « Qu’est-ce qui est singulier dans le cas présent ? » Voilà le questionnement permettant d’activer la vision externe. Mais cela ne va pas de soi.

Crédit Photo : Polina Zimmerman – Pexels

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