L’entrepreneur, entre super-héros et supercherie 

Chaque religion a besoin de prophète ; chaque idéologie a besoin de héros. Le capitalisme ne fait pas exception à la règle, avec la figure de l’entrepreneur. Or il convient de porter sur cette figure un regard lucide, en différenciant ce qui relève de la réalité et de la pure et simple mystification. 

Steve Jobs, figure emblématique de l’entrepreneuriat moderne. Sa réussite est perçue comme le fruit d’un génie personnel. Il est devenu une véritable légende. Mais l’histoire qu’on nous raconte occulte les nombreux autres facteurs ayant contribué à son succès. Cette perception illustre parfaitement comment se fabrique « le mythe de l’entrepreneur ». Anthony Galluzzo spécialiste de la question des imaginaires marchands et des cultures de consommation, décrit dans son ouvrage les différentes étapes de cette construction.

Anthony Galluzzo remet en question le discours dominant sur l’entrepreneur. Selon lui, ce mythe repose sur la croyance que les entrepreneurs, à travers leur génie individuel, leur prise de risque et leur capacité à saisir les opportunités, sont les principaux moteurs de l’innovation et du progrès économique. Galluzzo soutient que cette vision est non seulement simpliste, mais également trompeuse. « Pourtant, comme l’ont malicieusement fait remarquer certains chercheurs, nombre d’entrepreneurs ne sont jamais discutés comme tels : les mendiants, les colporteurs, les arnaqueurs, les dealers, les maquereaux… Eux aussi prennent des risques et saisissent des opportunités. »

Le succès entrepreneurial ne repose pas uniquement sur les qualités individuelles. En réalité, des facteurs comme le contexte socio-économique, les infrastructures existantes, l’accès au capital, et le rôle de l’État dans la régulation et le soutien de l’industrie sont cruciaux. Ces éléments sont presque toujours négligés dans le récit dominant sur l’entrepreneuriat.

De plus, Galluzzo critique la tendance à glorifier l’échec dans le monde entrepreneurial, perçu comme un rite de passage nécessaire. Il met en lumière que cette vision peut minimiser les conséquences réelles de l’échec, notamment pour les entrepreneurs issus de milieux moins privilégiés.

Galluzzo appelle à une réévaluation de la notion de succès. Il suggère de reconnaître la contribution collective, y compris celle des employés et des institutions publiques, dans les réussites entrepreneuriales. « En vivant dans un éternel présent, en suivant les évidences de la mythologie entrepreneuriale, il est facile d’assimiler ceux qui captent la valeur à ceux qui la créent, de prendre les bénéficiaires de l’économie pour leurs fondateurs. »

Crédit photo : Freepik

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