Qu’est-ce qu’être punk ?

Au-delà du style vestimentaire « destroy » et d’un comportement qui ne l’est pas moins, être punk renvoie à une certaine attitude vis-à-vis du monde. Une attitude loin d’être uniforme, car il y a bien des manières d’être punk.

Le 1er décembre 1976, le journaliste Bill Grundy doit accueillir en interview pour son émission télé Today le groupe Queen. Mais le groupe annule sa participation au dernier moment en raison d’une rage de dents dont souffre Freddy Mercury. Bill Grundy doit alors se replier en urgence sur un plan B et déniche un groupe encore inconnu : les Sex Pistols. Au cours de l’émission, Bill Grundy cherche à provoquer les membres du groupe. Et ça marche ! Très vite, les membres du groupe, visiblement en état d’ébriété, débitent des insultes. Le lendemain, toute la presse tombe à bras raccourcis sur Bill Grundy. Scandale. L’émission s’arrête nette. Les Sex Pistols et le mouvement punk accèdent quant à eux à la notoriété.

No future

Que signifie donc « être punk » ? Vous me répondrez que c’est d’abord un style facilement reconnaissable : épingle à nourrice dans l’oreille, crête d’Iroquois colorée, rangers, badges, tee-shirt à groupe et jeans troués… C’est aussi un comportement caractérisé par des accès de provocation et souvent de vulgarité. Injures, drogues, alcool, violences parfois, refus de l’autorité… : une manière de vivre au présent et d’envisager l’avenir. « No Future ». Dans l’inoubliable God Save the Queen, les Sex Pistols martèlent ces deux mots qui deviendront immédiatement le slogan du mouvement punk, mouvement pessimiste et nihiliste par essence. C’est du moins ce que l’on croit ordinairement. Mais le mouvement punk est loin d’être uniforme.

1976 toujours. Un autre groupe britannique apparaît sur cette même scène punk. The Clash partagent avec les Sex Pistols ce goût pour la provocation et la contestation de l’autorité. The Clash et les Sex Pistols sont alors en concurrence, comme à d’autres époques les Rolling Stones et les Beatles, Blur et Oasis. Pourtant, rien de plus différent que The Clash et les Sex Pistols. Pour Mick Jones, guitariste et chanteur des Clash, l’esprit de compétition entre les deux groupes existait bel et bien, tout comme une certaine camaraderie. Mais les finalités les deux groupes différaient radicalement. Alors que les Sex Pistols pensaient uniquement à la destruction, The Clash au contraire voulaient créer.

Le futur est à écrire

Comment cette créativité s’est-elle manifestée ? Ce qui saute aux yeux (ou plutôt aux oreilles), c’est la volonté de The Clash d’inclure des sonorités nouvelles : le punk rock et le rock bien sûr, mais aussi le rockabilly, le reggae, le ska ou encore le dub. Les autres groupes de punk de l’époque jouent une musique plus stéréotypée, plus attendue, plus sauvage, moins riche en expérimentations.

Et puis – autre différence — les textes des chansons des Londoniens, clairement revendiqués comme anarchistes, ne puisent pas dans le nihilisme ni le pessimisme. The Clash incarne un punk politique et social aux antipodes des Sex Pistols, des Damned ou, de l’autre côté de l’Atlantique, des Ramones et des Stooges. The Clash, au fil de leurs chansons et interviews, dénoncent l’impérialisme américain, la monarchie et l’aristocratie au Royaume-Uni, les jobs sous-payés à la chaîne en usines, la nuisance des médias de masse. Antimilitaristes, ils appellent à l’objection de conscience. Comme le résume Joe Strummer, leader du groupe, « nous sommes antifascistes, nous sommes anti-violence, nous sommes antiracistes et nous sommes procréatifs, nous sommes contre l’ignorance ». Lors d’une interview ultérieure, il précisera sa conception du punk : « Pour moi, le punk rock était un mouvement social. Nous essayions de faire politiquement les choses dont nous pensions qu’elles étaient importantes pour notre génération et, avec un peu de chance, inspirerait une autre génération à aller encore plus loin ».

Pour The Clash, le futur existe et il est ouvert. Charge à chacun d’entre nous de le façonner. The Future is Unwritten, comme le rappelle le titre d’un documentaire consacré à Joe Strummer en 2007, cinq ans après sa mort.

Notre époque partage quelques points de ressemblances avec le milieu des années 70. Avec le dérèglement climatique, la pandémie et maintenant la guerre en Europe, il est compréhensible de vouloir cracher sur l’époque, d’être obnubilé par cette décadence, le déclinisme, le défaitisme. Il est tentant de crier « No Future ». Pourtant, souvenons-nous qu’une autre attitude face au monde et ses soubresauts existe. « C’est quand on n’a plus d’espoir qu’il ne faut désespérer de rien », nous dit Sénèque. Accrochons-nous à cette maxime epour se convaincre que face à un monde qui semble se déliter, tout reste possible, rien n’est inéluctable. Le futur existe, il reste à écrire. C’est cette tournure d’esprit qu’il nous faut cultiver, malgré tout et contre tout.


Crédit : Photo de la couverture de l’album London Calling des Clash (1979)

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