Prospective : demain est moins à découvrir qu’à inventer

La création de la prospective par le philosophe Gaston Berger est un tournant majeur dans l’approche moderne de la planification et de l’anticipation de l’avenir. Sa démarche s’est inscrite dans un contexte d’après-guerre, où les sociétés, confrontées à d’immenses défis de reconstruction et de redéfinition, cherchaient des moyens de réinventer leur futur. « Dans un univers où tout se transforme si rapidement, la prévision est à la fois absolument indispensable et singulièrement difficile »[1], constate-t-il.

« Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. » L’avenir n’est donc pas écrit ; il ne s’agit pas de le deviner. Gaston Berger pour sa part considère le futur non pas comme une destination inéluctable, mais comme un champ d’action. Il perçoit la nécessité de développer une méthode qui permette non seulement d’analyser le futur, mais aussi de l’influencer. Cette méthode pour analyser et influencer le futur, fondée sur la prospective, est structurée autour de plusieurs principes clés et étapes méthodologiques :

1. La Recherche des signaux faibles

La prospective commence par l’identification des signaux faibles, qui sont des indicateurs précoces de changements potentiels ou de nouvelles tendances qui pourraient avoir un impact significatif sur l’avenir. Ces signaux sont souvent négligés ou sous-estimés en raison de leur faible intensité au moment de leur détection.

2. L’analyse des tendances

Cela implique l’étude des tendances actuelles et de leur évolution possible. Berger mettait l’accent sur la nécessité de comprendre les forces motrices qui façonnent le futur, qu’elles soient technologiques, économiques, socioculturelles ou politiques.

3. La construction de scénarios

Les futuribles sont explorés à travers la création de scénarios multiples, qui sont des récits construits autour de différents futurs possibles. Ces scénarios sont basés sur une combinaison de variables clés et de l’interaction de ces variables. Ils ne se veulent pas prédictifs, mais plutôt exploratoires, aidant à envisager un éventail de futurs plausibles.

4. La réflexion normative

Berger introduit une dimension normative dans la prospective, demandant non seulement « Ce qui pourrait arriver ? », mais aussi « Ce que nous souhaitons qui arrive ? ». Cela conduit à envisager des futurs souhaitables et à définir les valeurs et les objectifs à poursuivre.

5. La stratégie et la planification

Une fois les scénarios établis et les futurs souhaités définis, la méthode de Berger consiste à élaborer des stratégies pour influencer l’avenir. Cela implique de déterminer les actions présentes qui pourraient mener aux résultats souhaités, et de planifier en conséquence.

6. La rétroprospective

Cette étape consiste à travailler en sens inverse à partir d’un futur souhaité pour identifier les étapes nécessaires pour y parvenir. Elle aide à tracer un chemin réalisable vers ce futur en établissant des jalons et en prévoyant les ajustements nécessaires.

7. L’implication participative

L’implication des parties prenantes dans le processus de prospective est essentielle. En intégrant diverses perspectives, la méthode gagne en richesse, mais surtout en acceptabilité des stratégies élaborées.

8. La mise en œuvre et l’adaptation

La dernière étape est la mise en œuvre des stratégies choisies et l’adaptation continue. La prospective n’est pas un processus figé ; elle nécessite une réévaluation constante et une flexibilité pour s’adapter aux nouvelles informations et contextes émergents.

Gaston Berger, plutôt que de se contenter de prédictions basées sur des extrapolations linéaires du présent, a proposé d’étudier systématiquement les « futuribles » — une gamme de futurs possibles — en prenant en compte les variables changeantes et les choix humains. Un futurible représente une configuration d’avenir qui, bien que non réalisée, est rendue possible par les conditions et les choix présents. Ce n’est pas une simple prévision ou une projection basée sur une tendance actuelle, mais plutôt un ensemble de scénarios plausibles, prenant en compte une multitude de variables et de décisions humaines. Les futuribles englobent des visions économiques, technologiques, sociales, environnementales et politiques. Cela souligne que l’avenir n’est pas une ligne droite, mais un éventail de chemins qui s’ouvrent en fonction des actions entreprises dans le présent.


[1] Gaston Berger, Phénoménologie du temps et prospective, PUF, 1964.

Crédit Photo : Monstera Production – Pexels

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