Alerte ! Le perfectionnisme tue

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Les discussions qui s’éternisent autour de la chloroquine démontrent que le perfectionnisme peut être dangereux, voire meurtrier. Un vice courant est de se précipiter à discuter des solutions avant de poser le problème ensemble et de se mettre d’accord sur ce que l’on cherche.

En l’occurrence, sous la pression de l’urgence, dans un processus de contagion rapide qui entraîne un nombre croissant de malades, de morts, qui tue de plus en plus, il s’agit de réduire le nombre des décès futurs. Donc, la question n’est pas de savoir si telle nouvelle médication serait sûre, conforme aux normes établies, mais si sa mise en œuvre éviterait probablement plus de morts qu’elle n’en entraînerait. Je n’ai évidemment pas la réponse à propos de la chloroquine, mais c’est la question que le politique doit poser aux experts et se poser.

Trois attitudes

A une telle question, il n’y a pas de réponse scientifique, certaine, car l’avenir n’est pas écrit. La seule quasi-certitude serait le nombre de morts probables si l’on ne prend pas d’initiative.

L’attitude scientifique est de suivre rigoureusement des procédures logiques, éprouvées, approuvées par la communauté scientifique.

L’attitude bureaucratique consiste à appliquer les règles admises, aveuglement, pour que l’on ne puisse pas faire de reproches, et tant pis pour les conséquences, ce ne sera pas notre faute, mais celle du règlement.

L’attitude du décideur est de trancher en prenant ses responsabilités selon ses intuitions, en s’appuyant sur des experts. L’expert peut être un scientifique, mais il sait qu’il gère une situation complexe où une décision s’impose sans tarder, sans attendre une hypothétique certitude. L’expert a compris qu’il n’est pas en train de rédiger une thèse et qu’il doit s’interdire de chercher à plaire aux téléspectateurs ou aux politiques. Le problème n’est pas de rassurer la population, les électeurs, comme on le répète à l’écran, mais d’assurer la situation pour le bien de chacun, pas pour le prestige de certains.

L’expert, et après lui le politique, doivent prendre le risque de trancher, puisqu’il faut agir Ă  bref dĂ©lai pour Ă©viter encore plus de morts, sans disposer de tous les Ă©lĂ©ments d’une dĂ©cision parfaite. Il sait que celle-ci, de toute façon, n’existe pas ! C’est l’esprit des mĂ©thodes agiles qui consistent, en gros, Ă  explorer une idĂ©e pendant une Ă  deux semaines. Continuer ensuite ou changer d’orientation et ainsi progresser par essais et erreurs. Cela exige plus de courage que l’application stricte des règles. Mais veut-on sauver des vies humaines ou se couvrir ? Si l’aspirine, comme nombre de mĂ©dicaments courants, avait Ă©tĂ© dĂ©couverte de nos jours, on interdirait sa mise sur le marchĂ©, tant elle a d’effets secondaires dangereux ; elle a, nĂ©anmoins, soulagĂ© plus de douleurs pendant des dĂ©cennies qu’elle n’en a causĂ©es. Depuis, d’autres molĂ©cules sont apparues, moins dangereuses, mais comportant aussi des effets mortels aujourd’hui signalĂ©s.

Dans un monde complexe, pas de certitudes

Derrière la cacophonie actuelle, il a y une grossière incomprĂ©hension de la rĂ©alitĂ© complexe. Ah, encore la complexitĂ©, une marotte d’intellos ! Pas du tout : des vies humaines sont en jeu. La grande majoritĂ© des dĂ©cideurs, des commentateurs raisonnent de façon binaire. « Dangereux, pas dangereux ? RisquĂ© ou sĂ»r ? Â» Naturellement, toute proposition de solution comporte des risques. Il s’agit de les Ă©valuer. Et lĂ , intervient un autre travers gĂ©nĂ©ral, qu’Edgar Morin et le Pape François s’accordent Ă  dĂ©signer comme la dictature du chiffrage. On est perdu si on ne peut discuter sur des chiffres. Cela a justifiĂ© les Ă©conomies baptisĂ©es rationalisations qui ont conduit Ă  rĂ©duire drastiquement le nombre des lits d’hĂ´pitaux, de stocks de masques, de respirateurs et de tampons. En coupant, hier, des dĂ©penses, on a taillĂ© dans les espĂ©rances de survie d’aujourd’hui : des malades en meurent chaque jour ! Car, dans un monde complexe, pas de certitudes. Il reste toujours un risque, plus ou moins grand, que nous ne pouvons qu’estimer. Estimation qui ne peut ĂŞtre parfaite. Il y a une plus ou moins grande probabilitĂ© d’erreur… que nous ne pourrons chiffrer qu’après autopsie de la situation, quand ce sera trop tard ! Donc, quitte Ă  dĂ©plaire, nous devons avoir le courage de trancher selon notre expĂ©rience et nos intuitions. Le courage de gĂ©rer les urgences et non l’opinion du client ou de l’électeur.

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