Industrie lourde : la décarbonation est-elle en marche ?

La production sidérurgique représente près de 8 % des émissions de CO2 dans le monde. Le secteur sidérurgique constitue avec celui du ciment (7 % des émissions) et celui de la chimie – raffinage (6 %) un des principaux foyers d’émissions de gaz à effet de serre. L’enjeu de la décarbonation de ces activités est primordial pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

En Suède, à Boden, près du cercle polaire arctique, une startup appelée H2 Green Steel (H2GS) érige une nouvelle usine sidérurgique de 4 milliards d’euros, la première en Europe depuis près d’un demi-siècle qui fabriquera de l’acier non pas à partir du charbon ou du gaz naturel, mais à partir de l’hydrogène vert, produit sur place par l’éolien et l’hydroélectricité. Cette usine emploiera à terme 1 800 personnes et produira 5 millions de tonnes d’acier par an. La création d’une filière européenne de l’acier vert est un enjeu majeur pour l’ensemble de l’industrie. Les constructeurs automobiles sont les premiers intéressés. Selon Ann Mettler de Breakthrough Energy, un fonds de capital-risque soutenu par Bill Gates, cette première usine pourrait marquer la renaissance de l’industrie lourde européenne de l’ère post-fossile.

Les initiatives se multiplient

L’industrie lourde est profondément carbonée. La réduction du minerai de fer pour fabriquer de l’acier, le chauffage du calcaire pour produire du ciment et l’utilisation de la vapeur pour craquer les hydrocarbures nécessitent beaucoup d’énergie. Les processus de fabrication dégagent beaucoup de dioxyde de carbone. La réduction de toutes ces émissions est difficile et coûteuse en l’état. La décarbonation pour ces secteurs passe actuellement par l’hydrogène vert. L’Allemagne a lancé la Hydrogen Intermediary Network Company, une plaque tournante mondiale du commerce de l’hydrogène et des produits dérivés de l’hydrogène. Plusieurs pays, dont la France, se sont engagés dans la production de l’hydrogène à partir d’énergies renouvelables. Le secteur sidérurgique est le plus avancé. En Suède, en plus de l’usine de Boden, d’autres sont en cours de réalisation. En Allemagne, à Salzgitter, une entreprise sidérurgique a décidé la mise en œuvre d’un projet de 723 millions d’euros visant à remplacer ses hauts fourneaux conventionnels par des usines à réduction directe d’ici 2033 avec l’utilisation dans un premier temps du gaz naturel puis dans un second temps, de l’hydrogène. D’autres grands producteurs d’acier européens, dont ArcelorMittal et Thyssenkrupp, ont des plans similaires.

Les cimentiers prennent le même cap, mais avec un peu de retard. Le secteur est moins concentré et les marges y sont plus faibles. Les capacités de financement sont réduites. Le chauffage du calcaire génère environ 60 % des émissions de carbone du secteur et une technologie de remplacement, telle que la réduction directe de la sidérurgie, fait défaut. L’industrie se concentre donc sur la réduction des émissions après coup, en utilisant la capture et le stockage du carbone. De nombreuses entreprises expérimentent un procédé de chauffage qui remplace l’air par de l’oxygène pur, qui produit du CO2 apte à la séquestration. Certains essaient d’utiliser l’électricité plutôt que les combustibles fossiles pour chauffer le calcaire. Les plus ambitieux développent de nouveaux ciments moins carbonés. HeidelbergCement, le quatrième fabricant mondial de ce matériau, a lancé une demi-douzaine de projets à faible émission de carbone en Europe. Ils comprennent une installation de captation du carbone dans la ville norvégienne de Brevik et la première cimenterie neutre en carbone au monde sur l’île suédoise de Gotland. Ecocem, une startup irlandaise, fabrique un ciment à faible émission de carbone. Certaines entreprises tentent de récupérer du ciment à partir de vieux bétons dans des bâtiments démolis afin d’améliorer leur bilan carbone.

Un pari

La décarbonation de l’industrie chimique est complexe, car les hydrocarbures sont tout à la fois ses matières premières et son énergie. Plus de 30 000 produits sont fabriqués à partir du pétrole. BASF tente néanmoins de développer un vapocraqueur chauffé électriquement pour son usine à Ludwigshafen. Son objectif est d’atteindre la neutralité carbone dès 2030. À cet effet, cette entreprise a acheté une partie d’un parc éolien au large des côtes néerlandaises qui devrait lui fournir de l’électricité sans carbone. L’entreprise, comme ses homologues du ciment, entend développer le recyclage, en particulier à travers un processus appelé pyrolyse, où les déchets plastiques sont brûlés en l’absence d’oxygène et divisés en leurs composants hydrocarbonés.

Pour se délivrer du pétrole, des entreprises cherchent à utiliser des de matières premières vertes. Afyren, une startup française, extrait des éléments chimiques de sous-produits agricoles au lieu du pétrole.

Pour le moment, la décarbonation de l’industrie lourde reste un pari. Les sources d’énergies propres manquent. Les coûts restent élevés ; les aciéries vertes sont encore deux à trois fois plus chères à construire que les aciéries conventionnelles et les coûts de production sont également supérieurs. En revanche, la demande en produits lourds verts existe. BMW, Electrolux et Miele ont annoncé acheter leur acier à H2GS afin de participer à la décarbonation de l’industrie. Face à la demande des industrielles, les banques acceptent de financer les investissements que ce soit dans la sidérurgie ou dans la chimie. L’usine de Boden de H2GS a été financée pour les deux tiers par les banques, le reste provenant des prises de participation de fonds de capital-risque et de celles de grandes entreprises comme Scania ou Mercedes-Benz.

Crédit Photo : Kateryna Babaieva – Pexels

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