Toni Negri en trois idées-clés

Le philosophe italien Antonio (« Toni ») Negri, penseur majeur des luttes sociales, est mort dans la nuit du 15 au 16 décembre dernier. Retour sur les points essentiels de sa pensée.

1 — Le mouvement autonome

Antonio Negri est une figure emblématique du mouvement autonome, un courant de pensée qui a cherché à renouveler le marxisme en dehors des structures traditionnelles des partis communistes. Cette approche se distingue par son accent sur l’autonomie des mouvements sociaux et des travailleurs par rapport aux structures étatiques et capitalistes. Ce marxisme autonome voit le potentiel révolutionnaire non seulement dans la classe ouvrière traditionnelle, mais aussi dans une variété d’autres mouvements sociaux, notamment ceux concernant les droits civiques, l’écologie et le féminisme.

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Toni Negri ©Wikimedia Commons

2 — « Empire » et « Multitude » : repenser la souveraineté globale

En collaboration avec Michael Hardt, Negri a co-écrit « Empire » et « Multitude », deux ouvrages qui ont profondément influencé la pensée marxiste et politique contemporaine. Dans « Empire », ils avancent que la mondialisation a conduit à une nouvelle forme de souveraineté, qu’ils appellent « Empire ». Cette souveraineté n’est pas liée à un État-nation spécifique, mais est une entité globale, exercée par les multinationales, les marchés financiers et les institutions internationales.

Le livre « Multitude » poursuit cette analyse en explorant comment les individus, en tant que « multitude », peuvent résister et démocratiser cet Empire. Ils soutiennent que la multitude, avec sa diversité et sa capacité à créer de la valeur sociale et économique, est la clé pour comprendre et contester la structure du pouvoir dans le monde contemporain. « Nous sommes tous entre les mains d’un pouvoir qui nous rend infantiles, complètement ouverts à une exploitation totale. Mais en devenant adultes, nous faisons l’expérience des formes de la coopération, et de l’invention, nous commençons à découvrir les raisons de l’amour. Sans ces raisons, le monde n’existerait pas — parce qu’il n’y aurait pas la forme dans laquelle les hommes coopèrent, la vie se reproduit, la tristesse ou la joie s’expriment. Il y a, dans ce rapport entre la pauvreté et l’amour, un élément commun qui circule. Cet élément est monstrueux, il invente et découvre des formes de vie impossibles à contenir dans les mailles du pouvoir. Le tissu biopolitique est plein de désir, de relations amoureuses. Est-ce ce qui constitue la résistance ? Est-ce ce qui la rend monstrueuse aux yeux du capital ? Oui, probablement. » [1].

Critique de la Globalisation

Negri aborde la globalisation non seulement comme un phénomène économique, mais aussi comme une condition qui affecte profondément les structures politiques, sociales et culturelles. Il est critique envers la manière dont la globalisation a renforcé le pouvoir des corporations et des entités supranationales au détriment de la souveraineté démocratique et des droits des travailleurs. Pour le philosophe, la globalisation a créé de nouvelles formes d’oppression et d’exploitation, mais offre également de nouvelles opportunités pour la résistance et le changement social. Ses travaux mettent en lumière la nécessité d’une nouvelle forme de politique qui transcende les frontières nationales et qui est capable de contester le pouvoir globalisé. « Les agents du changement ont déjà envahi les rues et occupé les places ; ils menacent de renverser les dirigeants au pouvoir (quand ils ne l’ont pas déjà fait) et ils donnent naissance à des visions d’un nouveau monde. Ce qui est peut-être plus important encore est le fait que les multitudes, dans leurs logiques et leurs pratiques, leurs slogans et leurs désirs, ont promulgué un nouvel ensemble de principes et de vérités. Comment leur déclaration peut-elle servir de socle à la constitution d’une société nouvelle et durable ? Comment ces principes et ces vérités peuvent-ils nous aider à réinventer les rapports qui nous lient les uns aux autres et au monde qui nous entoure ? A travers leur révolte, les multitudes doivent découvrir le passage qui va de la déclaration à la constitution. » [2].


[1] Antonio Negri, Traversée de l’Empire, L’Herne, 2011.

[2] Antonio Negri, Déclaration : Ceci n’est pas un manifeste, Liber, 2013.

Crédit photo : Tingey Injury Law Firm – Unsplash

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